ABC Amazigh, rééditer cet interview qui date d’avril 1995, du regretté grand artiste, le dernier peut-être de Youcef Abdjaoui, c’est notre manière de le faire revivre, de lui rendre hommage. Et à travers-lui, à tous les artistes de l’Amazighie Youcef Abdjaoui aux côtés de Matoub Lounès (crédit image : ABC Amazigh)
Kamel Zirem : Comment êtes-vous venu à la chanson ? Youcef Abdjaoui : J’ai commencé en 1956. A l’époque, il y avait une radio à Bougie (Bgayet). Je ne voulais pas que mes parents sachent que je chantais. Sadek Béjaoui décida alors de m’appeler Youcef Abdjaoui. Mon vrai nom est Aliouche et je suis née à Akfadou. Par la suite, je partis à Alger. Là-bas à la radio, j’ai directement interprété mes propres chansons. A l’époque, c’était des disques. J’ai enregistré mon premier disque en 1958 et il a bien marché avec les chansons ‘Aoud-ak a lâabd our kouminagh’ (je jure, de ne pas te croire), ‘A ledzayer’ (Algérie)… Durant la même année, je suis parti à Paris, j’ai travaillé avec Missoum. On organisait des galas, des enregistrements… J’étais chanteur et musicien. Après, j’ai rejoint, à Tunis en 1959, l’orchestre national et ce jusqu’en 1962. A l’indépendance, je suis revenu en Algérie et j’ai repris ma place comme responsable de l’orchestre des variétés amazigh. J’ai travaillé à la radio jusqu’en 1969, date de mon départ pour la France.Depuis je vis là bas. Je viens en vacances au pays, je fais des galas quand c’est possible, des enregistrements à la radio II et à la télévision, j’anime des fêtes et des mariages.A 63 ans, je continue toujours de composer et de chanter.
Kamel Zirem : On dits que vous chantez magnifiquement l’amour ? Youcef Abdjaoui : La chanson sentimentale, oui. J’ai beaucoup voyagé, j’ai vu des choses, j’en ai vécu d’autres. En discutant aussi avec des gens, je m’inspire énormément. J’ai appris avec les anciens, les Maîtres.
Kamel Zirem : N’êtes-vous pas influencé par un style ? Youcef Abdjaoui : J’aime toute les musiques. La musique est avant tout universelle. J’ai mon propre style. Je ne l’ai pas choisi, il est venu tout seul. Mes chansons sont issues du chaâbi.
Kamel Zirem : Comment jugez-vous la chanson amazigh ? Youcef Abdjaoui : Il y a des hauts et des bas. Si certains ont porté très haut cette chanson, il y a par contre d’autres qui ont tendance à négliger les textes. Mais aujourd’hui la grande majorité est consciente. Regardez les succès de Matoub, Ferhat, Idir, pour ne citer que ceux-là. Sans jamais oublier les sources, c'est-à-dire les anciens : Slimane Azem, Kamal Hammadi, Zerrouki Allaoua, Ccix El Hasnaoui, Ccix Nordine, Chérif Kheddam et les autres. Sans tomber dans l’autosatisfaction, je dirais que la musique d’expression amazigh se porte bien. Maintenant c’est au jeune d’en faire plus.
Kamel Zirem : Comment voyez-vous la vie d’un artiste en Algérie ? Youcef Abdjaoui : Actuellement, avec tout ce qui se passe, on a intérêt à ne pas briller. Briller aujourd’hui, c’est disparaître. C’est absurde mais malheureusement vrai. Ils ont déjà chassé trop de lumière. Avec ce problème de survie, comment voulez-vous qu’un artiste s’épanouisse ? Ajoutez à cela : la censure, l’ingratitude, les gens qui veulent s’enrichir à travers l’art, le manque d’activités culturelles (rencontres, festivals). Je pense qu’il faut lutter ensemble, s’entraider contre ce vide culturel…
Kamel Zirem : Quels sont projets ? Youcef Abdjaoui : Je prépare une cassette dans laquelle je chante le pays, ses hommes et surtout l’amour. J’ai terminé un clip vidéo en France et j’ai fait des enregistrements à la télévision.
Kamel Zirem : On commence à lire des livres autobiographiques sur la musique algérienne. Qu’en penses-tu ? Youcef Abdjaoui C’est une très bonne chose. Mais chez nous, c’est quand un artiste meurt que l’on pense à lui. Il n’y a pas longtemps, un journaliste algérien est venu en France pour faire ce livre sur les grands chanteur amazighophones mais je ne sais plus ce qu’est devenu ce projet. Ce journaliste a vu pas mal de grands chanteurs et il a longtemps discuté avec moi sur ma vie et mes œuvres.
Kamel Zirem : Il y a beaucoup de talents en Algérie, et donc l’espoir est permis, n’est-ce pas ? Youcef Abdjaoui : Bien sûr. Que les gens apprennent à s’aimer et à vivre main dans la main ! Comme vous le dîtes, on a beaucoup de talents, je leur souhaite plein de succès.
(In Le pays du 11/04/95. Avec nos remerciements pour M. Zahir Benachour pour nous l’avoir fourni.)
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