Tassadit Yacine, dans l'étude qu'elle consacre à l'œuvre de Lounis, le qualifie de génie du verbe. Elle met l'accent sur la difficulté à appréhender ses textes : « Comment décrire l'indescriptible ? Comment saisir l'insaisissable ? Comment dire l'indicible ? Autant de questions qui s'imposent lorsqu'on tente d'appréhender les textes de Lounis Aït Menguellet. »
Dans la préface à cet ouvrage, Kateb Yacine écrivait : « Incontestablement, Aït Menguellet est aujourd'hui notre plus grand poète. Lorsqu'il chante, que ce soit en Algérie ou dans l'émigration, c'est lui qui rassemble le plus large public : des foules frémissantes, des foules qui font peur aux forces de répression, ce qui lui a valu les provocations policières, les brimades, la prison. Il va droit au cœur, il touche, il bouleverse, il fustige les indifférents.»
En 1967, Lounis a 17 ans. L'âge de l'adolescence et de ses crises. L'âge aussi où l'on rêve, mais à un moment où, en Algérie, la société ne laisse point d'espace pour le rêve et le fantasme. La libido est séquestrée et les pulsions sont refoulées. C'est dans ce contexte dur, qui ne laisse pas l'individualité s'exprimer, créer, rêver, vivre simplement, que Lounis commence à chanter. Et que pouvait-il chanter sinon la rêverie de tous les adolescents algériens et kabyles auxquels il s'adressait. La rêverie et l'amour, ou plutôt l'Amour avec un grand A. Le mot est beau à entendre, à exprimer, à imaginer ou à peindre, et Lounis va le présenter d'une fort belle manière pour la plus grande joie de ses auditeurs. Cet Amour, que Lounis comme beaucoup d'autres a vécu dans le secret et dans l'intimité la plus profonde, ne peut s'exprimer devant le groupe social. L'amour se vit et se pense tout petit avec un a minuscule. Aussi la première chanson de Lounis a-t-elle pour thème l'amour brimé, l'amour meurtri, l'amour terré, l'amour caché, un amour à distance, un amour non dit, non su. Cet amour surgit par la voix de l'artiste tel l'oiseau qu'on fait sortir de sa cage. Une voix qui libère, le temps d'une chanson, la libido humaine, la libido juvénile et devient aussi refuge pour le rêve et l'évasion. Cette première chanson s'intitule : Ma t-ttrud ula d nek akter (Quoique tu pleures, je pleure plus que toi).
Entre cette première chanson et sa dernière ou, du moins, l'une de ses dernières consacrées à l'amour, un long chemin a été parcouru. La transformation a été lente, sûre, mais surtout impressionnante. Lounis a su évoluer avec son temps et avec son public. Il a toujours su le toucher, le faire vibrer et répondre à ses attentes.
Lounis a su se métamorphoser avec le temps, même s’il est resté réservé, comme le signale Tassadit Yacine, et comme il en donne l'impression. La mutation de son verbe se confirme de plus en plus poétique, de plus en plus métaphorique; elle emprunte de plus en plus à la sagesse, à la morale et à la philosophie.
Voilà bientôt trente années que Lounis chante. Trente ans que Lounis interprète et traduit les rêves, mais aussi les réalités enfouies dans les profondeurs de l'âme de ses auditeurs. Trente ans qu'il exprime les fantasmes des siens, mais aussi trente années qu'il porte le fardeau d'un imaginaire social sujet à répression. L'éventail de sa thématique est large et varié. De cet amour brimé à la revendication identitaire et culturelle, Lounis a chanté, dans son style propre, aussi bien l'émigration et ses problèmes, l'injustice sociale, le politique, la jeunesse algérienne et ses difficultés. L'ensemble de cette thématique a été portée par un verbe, par une langue où la métaphore et la rhétorique ne sont jamais absentes. Lounis y mêle, souvent des oppositions qui se succèdent comme les cycles de la vie et de la mort, du jour et de la nuit, de la vérité et du mensonge, du méchant et du gentil, du beau temps et de la pluie, du froid et du chaud, etc.
Le regard que nous portons sur la chanson de Lounis Aït Menguellet nous permet de distinguer cinq ensembles thématiques :
- la chanson sentimentale
- la chanson à caractère social
- la chanson politique
- la chanson identitaire
- la chanson à caractère «philosophique»
Ces diverses thématiques se retrouvent souvent mêlées. La fragmentation de l'œuvre n'a été opérée que pour des raisons de méthodologie, afin de faciliter fa démarche d'analyse. La chanson de Lounis constitue en effet un tout indivisible qu'il est difficile d'aborder dans sa globalité en raison de sa complexité, de sa diversité et de sa richesse. Comme un tableau merveilleusement peint qu'on ne peut morceler sans réduire la portée de son message.
Moh Cherbi & Arezki Khouas (in Chanson Kabyle et Identité berbère, L'œuvre d'Aït Menguellet , p57-p60, Edition Paris Méditerranée, Mars 1999)