Le dernier entretien accordé à la dépêche de Kabylie Qui se souvient de Ruh, ruh, Khass ruh … L’artiste disparu, Arezki Oultache, nous avait accordé son ultime entretien, au mois de septembre 2002. En signe d’hommage, nous reproduisons l’article dans son intégralité. A peine sorti de l’hôpital nous lui avons rendu visite. Lui, c’est Oultache Arezki ou Dda Rezki Bweltache, comme on préfère le surnommer. Agé de 71 ans, Dda Rezki garde encore à ses cotés sa meilleur amie : sa guitare qu’il avait achetée il y a 40 ans déjà. Durant tout notre entretien, Dda Rezki n’a pas triché avec sa nature et son caractère. C’est un grand rieur, un phénomène, sympathique, bref d’une simplicité exemplaire. Et, pour le faire connaitre à cette génération qui, apparemment, ne trouve pas les moyens de connaître les maître de la chanson kabyle et qui ne se contente que des … reprise, quelque fois mal faites, nous l’avons interviewé. La dépêche de Kabylie : Dda Rezki ! D’abord, comment vous sentez-vous après quelques jours passés sur un lit d’hôpital ? - Dda Rezki : J’ai souffert, au début, mais maintenant c’est possible que je te dise : ça va mieux merci.
- Si on revient à quelque chose qui vous a toujours tenu à cœur, pour laquelle vous vous êtes investi, à savoir la chanson, qu’en pensez-vous ?
- Dda Rezki : Nous, les anciens, nous l’avons placée au-dessus de tout. Quant à moi, j’ai commencé à Paris en 1957, à l’âge de 26 ans (je suis née en 1931 à Tarihant) à la radio ORTF. Une radio où travaillait Farid Ali, comme directeur artistique. J’étais avec les chanteurs qui ont fait la gloire de la chanson kabyle, tels Akli Yahiatène, Taleb Rabah, Oukkil Amar, Dahmane Belaïd, Ahcen Mezzani …
A cette époque-là, on entrait au studio tous les dimanches, rien que pour essayer nos voix, nous initier à l’art. Il n’y avait même pas de disques (les années 57, 58 et 59). Quant à moi, j’y avais enregistré ma première chanson Ur yeggan ur yesgan (1957). A l’ORTF, on pouvait même enregistrer les chansons des autres. Cela ne posait aucun problème. Arrive après une autre époque (celle des studios) en 1959-60, et si quelqu’un trouvait un studio, il pouvait enregistrer son 45 tours. En ce qui me concerne, j’avais trouvé un éditeur Paris-Disque, et j’y avais enregistré trois disques. - D’où vous venais l’inspiration ?
- Dda Rezki : D’abord, l’art est un don. Ajouter à cela, le milieu dans lequel je vivais (artistique), je fréquentais les Farid Ali, Missoum, Ccix El Hesnaoui, Moh Saïd Oubelaïd …et l’inspiration venait au quotidien de ma situation d’émigré, de la terre natale qui me manquait
- Et pour le style de musique, l’aviez-vous choisi ?
- Dda Rezki : Non je faisais tout ce qui me venais à la tête, c’est aussi un don. Et puis on est jamais Ccix sans l’aide dans autre Ccix, n’est-ce pas ? Il faut fréquenter les gens du domaine pour en tirer les leçons et l’enseignement. La musique quant à elle, se travaille.
- Et quel est votre Ccix, Dda rezki ?
- Dda Rezki : J’en avais deux : Farid Ali et Missoum. Pour le premier, il ne renaîtra jamais. Il n’était pas hypocrite ou égoïste. C’était un bon compositeur, une belle voix, un révolutionnaire et il a été à l’école ! Rares sont les gens qui lui ressemblent. Et ce n’est pas uniquement dans le domaine de la chanson ! Même dans la vie de tous les jours, il était unique : d-bab n-tirrugza.
Quant au second, Missoum, c’était un professeur de musique, il a étudié le solfège. Ils étaient deux a être pros, lui et le Tunisien El Jamoussi. Tous les chanteurs faisaient appel a Missoum. - Vous qui aviez passé une grande partie de vie en France, que vous inspirait la Kabylie, à cette époque de votre jeunesse ?
- Dda Rezki : Si on ne l’aimait pas, pourquoi l’avoir chantée ? Et puis, j’ai toujours refusé de chanter en arabe, car cela « tuerait » automatiquement taqbayelit. Encore, faut-il le signaler, les éditeurs arabes ne voulaient pas produire nos disques, par racisme. On avait recours aux éditeurs français.
- La grande majorité des gens reconnaissent en vous la finesse dans vos œuvres, que ce soit sur le plan thématique, musical ou alors arrangements. Surtout votre célèbre chanson Ruh ruh. Mais pourquoi vous ne l’aviez pas chantée le premier ?
- Dda Rezki : C’est une chanson que j’ai écrite, mais composée pour Missoum en 1968. Par la suite, je l’avais donnée à Mohamed Saïd Hemmad. Et ma foi ! dix ans après, elle fut reprise par Samy El Djazaïri. Mais les droits d’auteurs me revenaient à chaque fois.
- Le monde artistique vient de perdre encore une fois l’un de ses piliers, Ccix El Hasnaoui. Vous qui l’aviez bien côtoyé, quelle a été votre réaction ?
- Dda Rezki : Ccix El Hasnaoui était un frère, un bienfaiteur. Il était amoureux de la Kabylie. En France, il passait des galas, et quelquefois il me donnait son instrument. Un jour, on a été chez Ajennad (un cafetier) pour prendre comme d’habitude notre café. Lui, il a mis dans une tasse aâqqa n-lâafyun, et a commencé à boire son café en fumant une cigarette, puis en allant aux toilettes, le cafetier ramasse sa tasse à moitié vide. Et juste en revenant Ccix El Hasnaoui lui lance « Qu’as-tu contre cette tasse Saïd ? » (D-acu i-as d-ssuksed i-wfebdjal noir a Saïd) (rires).Et, on a beaucoup ri, oh ! c’était quelqu’un de bonne famille.
- Durant cette même époque, vous qui aviez travaillé avec Agraw Imazighen (Académie Berbère).
Racontez-nous un peu … - Dda Rezki : Avec l’académie berbère, je faisais des galas avec Farid Ali et Slimane Azem en présence de Mouloud Mammeri et Bessouad Mohamed Arav. Et je me rappelle qu’à chaque gala, Lmulud nous louait tout un resto pour nous mettre à l’aise, oh ! comme c’était beau !
- Dda Rezki, on trouve encore chez vous votre unique guitare. Quel est son âge ?
- Dda Rezki : C’est une guitare chinoise qui pèse plus 300 g. Elle date d’avant 68-69.
- Dans certaine chansons, il est très utile de faire participer la femme (voix féminine) qu’en est-il avec vous ?
- Dda Rezki : Oui, bien sûr, pour les chorales, je l’ai déjà fait en chantant avec Youcef Abdjaoui, Salah Sadaoui, Abchiche Bélaïd et comme voix féminine Fatma Zohra, Bahia Farah et Aït Farida (à la radio ORTF), sans oublier Khedidja et Hayet. C’était des voix très chaudes.
- Ecoutiez-vous à l’époque les chanteurs de l’autre rive de la méditerranée ?
- Dda Rezki : Oui, j’écoutais Brassens, Aznavour, on se rencontrait même de temps en temps.
- Votre dernier album date de 1988, édité chez les éditions Massinissa. Est-ce le dernierou mazal lxir γer zdat ?
- Dda Rezki : Tu vois, ma γezzif laâmar je reviendrai à la chanson. J’ai encore des inédits que j’enregistrerai dès que possible.
Propos recueillis par S.M. Mis en ligne le lundi 16 avril 2007. ps : Tanemirt i Laârbi (dit l'Art vit) pour son aide et pour m'avoir transmit une copie de l'article de presse. |